Sous forme de blog, la patiente construction d'un site de ressources sur Mike Oldfield, entrecoupée de points de vues personnels.
Voici une traduction un peu plus conséquente de Changeling, l'autobiographie de Mike Oldfield : les huit pages traduites, prises par-ci par-là dans les chapitres 9 et 10 du livre, tournent toutes autour de la réalisation de l'album Hergest Ridge. Note : les photos ne viennent pas du livre.
[La traduction commence après la description du concert de Tubular Bells au Queen Elizabeth Hall en juin 1973, puis de l'enregistrement du concert pour la BBC en novembre de la même année]
9. THE BEACON - 1974
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A part ça, ma mémoire de cette période a disparu : tout est assez brumeux. C'était une période très étrange pour moi, un peu comme un tourbillon. Je ne faisais pas vraiment attention à ce qui se passait à la maison, dans le sens où j'étais passé à autre chose. Mes parents n'étaient pas venus au concert ; les parents faisaient partie d'un monde et les enfants d'un autre. C'est comme ça qu'étaient les gens à l'époque.
Je me souviens comment j'avais finalement pu échanger ma vieille Mini pourrie contre ce qui s'est avéré être une Bentley totalement pourrie. Je l'ai emmenée chez Jack Barclay, le concessionnaire Bentley à Berkeley Square, qui m'a dit que la faire réparer coûterait plus que le prix de la voiture. Elle avait l'air magnifique, elle avait cette adorable moquette mais si vous appuyiez trop fort sur le plancher du côté passager, votre pied passait à travers.
A cette époque, j'avais une copine que j'avais rencontré au Manoir et nous voulions vivre quelque part à la campagne. Nous nous sommes mis en route dans la Bentley, pour chercher un lieu, quelque part où habiter. Je me souviens comment nous étions partis en direction de l'ouest, par le pont de la Severn, puis par Ross-on-Wye, ensuite jusqu'à Monmouth et Hereford. Sur un simple coup de tête, nous avons conduit du nord d'Hereford à un endroit appelé Kington, juste sur la frontière galloise. Je me souviens avoir vu là une grosse colline et un club de golf à son sommet, et juste un peu en dessous il y avait une petite maison avec un panneau "à vendre" dessus. Elle avait une vue magnifique sur Kington, et on pouvait voir les montagnes noires au loin.
La maison était appelée The Beacon et elle était sur Bradnor Hill, à environ huit cent pieds (NdT : 250 mètres) de haut et sur une pente de quarante degrés. Ca n'était qu'une petite maison, fragilement construite et un peu délabrée, coincée sur cette colline entourée par des fougères et des moutons. C'était assez isolé là haut et le vent soufflait tout autour.
La maison côutait vingt mille Livres. je n'avais même pas regardé à l'intérieur, mais j'ai appelé Richard, disant : "il y a cette maison, est-ce que je peux l'acheter ?". Je pense qu'il l'a simplement achetée et l'a déduite de mes royalties. Richard était mon manager alors en plus d'être d'être ma maison de disques, et je n'ai donc jamais eu à penser à quoi que ce soit en matière d'affaires. Je lui laissais prendre soin de tout.
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En plus de ses demandes de faire une tournée, de la publicité, des interviews etc., Richard voulait un autre album, une suite. Evidemment j'avais eu un album incroyablement couronné de succès, ils ont du penser, "Que fais-tu -ha ! ha !- tu en fais un autre !". Je savais que mon contrat portait sur dix albums, mais le problème était qu'à ce moment, je ne sentais pas que j'avais une suite en moi : il y devrait bien y avoir quelque chose, un jour, mais je ne voulais pas encore faire un autre album. Toute ma vie -aussi courte qu'elle avait pu être- était allée dans Tubular Bells. Je ne savais pas ce que j'allais foutre après. Je ne voulais qu'un peu d'air.
Je sentais que Richard me mettait la pression pour faire un autre album, mais d'une façon que lui seul sait faire. Richard possède cet enthousiasme contagieux, et quand j'étais avec lui je ne paniquais plus pour quelque raison, je voulais vraiment faire ce que je pouvais pour lui. C'est vraiment catalyseur pour les gens que d'avoir cette sorte d'enthousiasme, et c'est le don de Richard, vous vous sentez vraiment plein d'énergie. Il parvient, avec son sourire et sa manière, à s'entourer de personnes talentueuses qui donneront le meilleur d'elles même pour lui.
Je me souviens d'un coup de fil en particulier. Richard me demandait : "as-tu besoin de quoi que ce soit pour recommencer à écrire de la musique ?"
J'ai dit : "heu, eh bien, il y a cet orgue que David Bedford avait, dans Kevin Ayers and the Whole World ?". Richard m'a demandé quel nom il avait. "Heu, un Farfisa ? Pas un Continental, quelque chose comme un Professional Two". Je me souvenais que c'était un gros machin ancien, tous les boutons étaient peints comme des dragées, en rose et jaune. Le week end suivant, j'ai regardé par la fenêtre et j'ai vu Richard monter en titubant depuis le parking au bas de la colline, il portait en fait ce monstreux et affreux orgue Farfisa. Bien sûr, je suis descendu et je l'ai aidé à le monter. J'ai trouvé ça plutôt charmant, il aurait pu faire faire ça par quelqu'un d'autre, mais il l'avait apporté lui même.
A la longue, j'ai accepté de commencer à travailler sur un deuxième album, parce que je m'y sentais obligé. Richard voulait que je le fasse, et d'un autre coté, à ce moment je ne savais pas ce que j'allais pouvoir faire d'autre de ma vie. Je ne m'étais jamais vraiment senti comme un musicien ; un musicien était quelqu'un de différent, quelqu'un qui joue dans des orchestres, ou des clubs ou autre. J'avais fini par faire ça, mais je n'avais jamais senti que j'étais à ma place. J'en suis arrivé plus tard à croire que Richard voulait me mettre sur un nouvel album, pas seulement parce qu'il voulait écouter une autre oeuvre de musique magnifique, mais aussi parce qu'il voulait un autre album couronné de succès. C'était là sa raison mais je ne l'ai pas réalisé alors, je pensais qu'il était seulement interessé par la musique.
Avec le Farfisa, on m'avait donné du matériel d'enregistrement, des magnétophones à quatre pistes et une table de mixage. Ce n'était pas du très bon matériel, mais au moins je pouvais faire des démos plus compliquées que ma démo de Tubular Bells avec ses sons les uns sur les autres. J'avais aussi un ou deux morceaux en surplus de mes sessions du dernier album.
Avec tout ça, j'ai commencé à travailler sur quelques idées.
[...]
10. HERGEST RIDGE - 1975
Je luttais toujours contre mes crises de panique. Toute la culpabilité, la colère émotionnelle, la perte que j'avais vécue dans le passé, tout était là à l'intérieur de moi, comme une boule d'énergie émotionnelle. De nombreuses situations ramenaient des souvenirs de mon enfance : des souvenirs-clés comme la bagarre avec mon père étaient sucsités par certaines choses, comme par exemple si je me sentais menacé physiquement. Si je ressentais une injustice, là c'était important, cela connectait à beaucoup de choses. Je me sentais souvent complètement hors de contrôle, quasiment un automate à cause de mes peurs profondément ancrées et de mon conditionnement psychologique.
Je suis sûr que c'est la même chose pour tout ceux qui se sont occupé ou ont vécu avec une personne malade pendant beaucoup d'années : on commence à la détester. Avec le temps le ressentiment se développe et vous vous trouvez à la détester pour tout le stress qu'elle vous cause. En même temps, une autre part de vous pense, "je ne devrais pas faire ça, je devrais être gentil et généreux." Cela vous remplit de culpabilité. Pour moi, cela se reliait avec toutes les autres choses, comme mes années d'enfance et comment j'avais été endoctriné par mon éducation catholique, quand on m'avait enseigné que la culpabilité est un péché. Tout cela devient un cercle vicieux.
Principalement, je dominais tout ça avec de l'alcool ; je buvais trop, mais c'était pour supprimer les crises. Je n'aimais pas prendre des médicaments de toute sorte, mais j'avais tout le temps un Valium dans mon portefeuille : occasionellement, quand j'avais une crise de panique, je grignotais un peu le cachet. Pour certaines personnes, la seule issue est de prendre des tranquillisants mais je ne voulais pas finir comme ma mère, qui était dépendante de médicaments prescrits.
J'aimais être là haut à Bradnor Hill, et être dehors au beau milieu de la campagne me mettait à l'abri de la panique. En face de la maison, il y avait cette magnifique, longue colline striée appelée Hergest Ridge. Au sommet se trouvait cet étrange rocher nommé The Whet Stone, un point de repère célèbre qui, paraît-il, datait des temps préhistoriques. Je commençais à faire des modèles réduits d'avions, avec la même sorte d'attention méticuleuse que j'avais apprise de mon père. Je m'y suis vraiment intéressé. Je me sentais en paix là bas sur la crête, seul avec mes maquettes.
Je trouvais les animaux très apaisants, donc à un moment j'ai décidé d'avoir deux chiens, des lévriers afghans. Je pensais qu'ils étaient mignons, mais, mon Dieu, ils étaient affreux. J'ai eu un problème terrible avec l'agriculteur, car ils chassaient tous les moutons sur Bradnor Hill et en ont tué un ou deux. J'ai du m'en débarrasser, donc j'ai acheté un couple de chats persans à la place.
Quand tout s'accumulait, je pouvais me réfugier dans mon univers musical. C'était comme un cocon autour de moi, tout à l'intérieur était si beau et sûr. Je pouvais imaginer que chacun des instruments disait quelque chose -la basse n'était pas seulement une guitare basse, c'était une grande personnalité, profonde. La musique m'était aussi familière que la voix humaine et le langage humain, avec ses propres mots et phrases. Tout se tenait, dans cette logique musicale.
C'était comme si j'étais un extra-terrestre, se souvenant de ce que c'était que d'être sur sa propre planète, où les gens ne parlaient pas, ils chantaient et émettaent des sons musicaux comme moyen de communication. Si j'éteignais mon "appareil de traduction de langage", tout ce que je pouvais entendre était un son flou et du charabia. Une vraie voix humaine qui parle n'est pas du tout un son agréable, la plupart du temps. Il y a des langues qui recèlent quelques sons affreux -les sons gutturaux étranges de plusieurs langues européennes, par exemple- ce n'est pas du tout une façon très élégante de communiquer. Tandis que le magnifique monde musical était plus gracieux, une sorte de nirvana dans la musique, un lieu de sécurité dans lequel je vivais et qui empêchait les crises de panique de venir.
J'ai progressivement rassemblé mes idées et commencé concrètement à faire une démo du deuxième album. Je ne voulais pas le faire, mais je ne pensais pas vraiment que j'avais le choix. C'est arrivé plus d'une fois dans ma carrière que je n'ait pas eu envie de travailler mais je m'y mets quand même car, vraiment, qu'est ce que je ferais d'autre ? Richard m'appelait pour me demander comment j'allais, mais si je n'avais pas fait quelque chose dans la musique, je ne sais pas ce que j'aurais fait.
J'ai vraiment dû lutter pour commencer Hergest Ridge, mais après m'être poussé à commencer, ça a été comme entasser des brindilles dans un feu. Ca a pris vie par soi-même, avec ses propres impulsions et ça s'est auto-entretenu. Musicalement, cela n'avait rien à voir avec Tubular Bells. Il y avait des trompettes et des tin whistles, différentes sortes d'influences qui étaient d'une certaine façon un reflet de l'endroit où je vivais, je suppose que l'on appelerait cela des sons New Age aujourd'hui. Je roulais sur des réservoirs quasi vides quand je le confectionnais, mais jai réussi à bricoler une sorte d'album.
Au bout d'un moment, j'ai vraiment commencé à m'y immerger, ou au moins en partie. Il y avait un morceau de musique qui a terminé sur la deuxième partie d'Hergest Ridge, une simple et belle mélodie, juste à l'orgue et à la guitare acoustique. Le son de celle-ci, pour moi, était comme la conversation de quelqu'un : ils n'employaient pas des mots mais de la musique, des notes de musique et des tonalités musicales. La voix était tout simplement amicale et réconfortante et elle me disait "je suis en sécurité, je suis à l'aise, rien ne va me faire mal, je ne vais pas avoir de crise de panique, je ne vais pas me perdre dans le monde gigantestque et monstrueux où sont mes cauchemars".
Une fois que j'ai eu fini les démos, le temps est venu de tout enregistrer proprement dit. J'avais demandé à Tom Newman de m'y aider une nouvelle fois, car nous nous étions entendus si bien lors de Tubular Bells. Le Manoir était complètement réservé, alors pour commencer j'ai été mis dans des studios à Basing Street, un ancien cinéma. J'ai détesté cet endroit, je ne voulais pas du tout y travailler. Ca me conduisait à ne pas avoir envie de faire un nouvel album, mais je pouvais sentir cette pression de terminer les choses. Ensuite, nous avons été placé dans un studio quelque part comme Chipping Norton. J'ai détesté cet endroit encore plus, et à la fin nous n'utilisions même plus le temps de studio. Je ne me donnais pas la peine d'y travailler, et donc Tom et moi sortions faire voler des maquettes d'avion à la place.
Je n'avais vraiment pas le coeur à faire ça. Je devais m'en débarrasser, mais c'était comme faire sortir la dernière goutte de dentifrice de son tube. Quelle que soit énergie musicale refoulée que j'avais pu avoir en moi, je l'avais totalement livrée avec Tubular Bells et il n'en restait plus qu'un tout petit peu. Tant bien que mal, l'album fut terminé, ce qui fut plus un soulagement qu'autre chose.
Le photographe qui avait fait la pochette de Tubular Bells, Trevor Key, est venu à Hergest Ridge pour faire la pochette. Il est arrivé avec Bootleg, le lévrier d'Irlande du Manoir : il est sur la pochette, sur la crête d'Hergest. Je n'ai pas aimé le résultat, pour être honnête. Après la pochette de Tubular Bells, qui était si puissante, celle là n'était seulement qu'un peu bizarre.
[L'ouvrage poursuit par la description des projets de Orchestral Tubular Bells et Orchestral Hergest Ridge]
A lire également sur ce blog, sur les mêmes sujets :
Chronique d'Hergest Ridge
Un autre passage de Changeling
Un article sur les maisons de Mike Oldfield